Par Sophie Mangado, vice-présidente de l’AJIQ
Dès les premiers points de presse quotidiens du gouvernement Legault, l’AJIQ a vu ses messageries gonfler d’appels à « calmer (ses) journalistes ». Les questions au trio McCann – Arruda – Legault (d’abord largement plébiscité) semblent malvenues aux yeux de certains citoyens. Plus que la nature des questions, c’est le fait même d’en poser qui dérange.
Ouch.
Qu’en temps de crise, des voix s’élèvent pour demander aux médias de ne pas interroger le gouvernement, c’est lourd de sens.
Surtout, s’il vous plaît, ne pas empêcher quiconque de tourner en rond, et vogue la galère!
Si elle est loin d’être nouvelle, la défiance envers notre profession n’a jamais été aussi prégnante. Il est plus que temps de s’atteler sérieusement à combler le fossé qui se creuse entre médias et citoyens. Vaste chantier.
Convaincue d’une nécessaire autocritique, je m’interroge depuis longtemps sur notre part de responsabilité dans cette crise de confiance. Nous savons que nous avons échappé bien des principes en laissant l’information se soumettre aux lois du marché. Nous savons que l’assujettissement à la publicité met à mal la qualité de l’information. Que nous évoluons dans un écosystème victime lui aussi de dérèglements majeurs. Que la profession subit une précarisation sans précédent – à commencer par les journalistes pigistes et surnuméraires aux conditions de travail trop souvent lamentables.
Nous, journalistes, savons tout cela, parce que nous le vivons quotidiennement. Mais les logiques à l’oeuvre dans la fabrique de l’information restent peut-être inintelligibles pour ceux à qui nous la livrons.
Dans Les médias, le monde et nous, la journaliste Anne-Sophie Novel rapporte, à la lumière de sondages sur l’intérêt pour l’information et la crédibilité des médias, qu’ « à l’échelle mondiale, s’est développé le sentiment que les médias ne répondent pas aux attentes clefs de la société, à savoir être garants d’une information de qualité, éduquer les gens sur des questions importantes et les aider à prendre des décisions ayant un impact positif sur leur vie ».
La bataille pour ramener une information de qualité et rétablir la confiance doit se mener avec le public, et n’échappera pas à notre examen de conscience. Les démarches d’éducation aux médias qui essaiment ici et là depuis quelques années font partie de la solution. L’hygiène informationnelle aussi. Porte-drapeau du « bien s’informer », Anne-Sophie Novel se faisait une joie de venir présenter son documentaire, invitée par l’AJIQ avec la FPJQ, dans le cadre de la Semaine de la presse et des médias. Partie remise, nous l’espérons.
Dans une démarche édifiante et rigoureusement documentée, la journaliste dresse un habile parallèle entre nourriture et information. On peut exhorter le monde à bien se nourrir, encore faut-il proposer un menu santé. Le monde, quant à lui, peut bien chialer sur la qualité de la bouffe, mais est-il prêt à payer pour manger plus sainement? Se nourrir bien reste un luxe pour beaucoup trop de monde. S’informer bien, aussi. L’infobésité distrait plus qu’elle ne nous élève, résultant en un bruit aux allures de buffet all you can eat, inévitablement écoeurant voire abrutissant.
Et si la crise qui nous traverse de part en part était aussi une occasion pour l’information de se refaire une santé? Puisqu’il est tant question de mettre en oeuvre les changements qui s’imposent, profitons-en pour revisiter sérieusement nos fondamentaux journalistiques.