Vous avez envie de travailler à la pige? Voyons ça de plus près…

Les premières piges: où et comment?

Médias alternatifs et communautaires: une bonne école pour les pigistes, surtout quand ces médias sont bien établis, avec une équipe chevronnée. Attention, le travail y est le plus souvent bénévole et non reconnu par les médias “commerciaux”. À expérimenter… à condition d’en sortir!

Radio: sur les chaînes privées, l’information est une espèce en voie de disparition, les salariés eux-mêmes manquent de travail. Radio-Canada demeure le seul radiodiffuseur qui mise sur l’information, mais les pigistes y sont marginaux.

Télévision: l’information télé quotidienne emploie très peu de pigistes. Mais la croissance des chaînes spécialisées sur le câble et la vogue des séries documentaires en plusieurs épisodes constitue une manne pour les journalistes indépendants, notamment pour effectuer du travail de recherchiste. Il s’agit d’emplois temporaires (le temps d’une production), mais bien rémunérés, car ce secteur est grassement subventionné.

Ce milieu de producteurs indépendants est cependant difficile à percer.

Journaux quotidiens: les budgets réservés à la pige, calculés en fonction d’une portion de l’espace rédactionnel, sont restreints. Résultats: les tarifs sont assez faibles (50$ du feuillet et moins). Ces médias sont tout de même ouverts aux pigistes capables d’apporter une touche “magazine” à un journal quotidien et aux chroniqueurs spécialisés qui y trouvent une vitrine prestigieuse.

Journaux hebdomadaires: les quelque 200 hebdos que compte le Québec accordent souvent un peu d’espace rédactionnel à la pige. Les tarifs sont d’un minable consommé (de 20 à 50$ du feuillet), la portée de plusieurs de ces médias est très limitée, le contenu est souvent pauvre… mais il existe d’heureuses exceptions. À cibler avec soin.

Internet et multimédia: en perte de vitesse. Depuis l’éclatement de la bulle spéculative des “.com” en 2000, ce secteur est l’ombre de ce qu’il a été dans les années 1990. Les rares sites Web d’information qui ont encore besoin de pigistes les rémunèrent mal. Depuis quelques années, le phénomène du blogue demeure la seule évolution marquante dans l’univers du cyberjournalisme. Cet outil de publication, le plus direct qui soit, peut constituer une expérience journalistique passionnante, mais il est impossible d’en vivre (au Québec du moins).

Magazines: ils emploient peu de salariés, l’essentiel du travail de rédaction est assumé par des pigistes. Les magazines grand public et spécialisés, nombreux (il en existe environ 300 dans la province), ont toujours besoin de pigistes capables de leur fournir des articles clés en main qui répondent exactement à leurs besoins. Certains rédacteurs en chef parlent même d’une “pénurie” de bons pigistes, fiables et constants.

Avant d’entrer en contact avec un magazine, il faut apprivoiser son contenu, son marché et les exigences du rédacteur en chef, qui varient autant que les tarifs (sur ce dernier aspect, consultez une liste établie par l’AJIQ).

De quoi traiter à la pige?

Quelques secteurs de couverture (les “beats”, en anglais) sont inaccessibles aux pigistes, d’autres constituent des filons peu exploités.
L’actualité politique est une chasse gardée des journalistes salariés et des agences de presse (La Presse Canadienne, Reuters, etc.), à l’exception de quelques chroniqueurs prestigieux.
Les pigistes sont quasi absents des faits divers et de l’actualité judiciaire, sauf pour des médias spécialisés comme Le Journal du Barreau et quelques publications à sensation.
L’actualité sportive quotidienne est aussi une chasse gardée des salariés et des agences de presse. Quelques mensuels spécialisés s’appuient sur le travail de pigistes, les magazines Espaces, Vélo Mag et Sentier Chasse-Pêche par exemple.
L’actualité locale et municipale occupe des pigistes dans les hebdos, les médias communautaires et locaux, en concurrence avec les salariés.
L’Éducation et la Santé, les deux plus gros postes de dépense du gouvernement provincial, sont généralement couverts par les journalistes salariés et les agences de presse. Rares sont les pigistes qui maîtrisent suffisamment bien ce type de dossier pour parvenir à vendre des reportages.
L’actualité internationale, parent pauvre des médias, se résume souvent à des dépêches d’agences de presse. Les pigistes globe-trotter ont la planète pour terrain de jeu, mais il est difficile de convaincre les médias québécois de s’intéresser à un contenu international inédit – par exemple, peu de magazines se spécialisent dans l’international. De plus, il faut investir soi-même de l’argent dans ses déplacements à l’étranger sans être certain qu’il y aura suffisamment de médias pour acheter des reportages.
Quelques journalistes pigistes spécialisés dans le reportage touristique tirent bien leur épingle du jeu, mais il faut aimer vivre dans ses valises…
L’actualité économique quotidienne est couverte par les salariés et les dépêches d’agence de presse. Par ailleurs, les médias spécialisés dans l’économie et la finance, nombreux et souvent bien pourvus en ressources, ont toujours besoin de pigistes capables de maîtriser cet univers complexe. Il existe aussi des publications très ciblées comme les newsletters financières, des magazines d’organismes, d’associations économiques et financières, qui ont besoin de pigistes très spécialisés. Le journalisme économique est en demande, c’est un reflet et un acteur du monde (obsédé par l’économie) dans lequel nous vivons.
L’actualité culturelle quotidienne est couverte par les salariés et les dépêches d’agences de presse. Les pigistes ont aussi l’embarras du choix, car les médias spécialisés abondent, dans tous les domaines: musique, cinéma, etc. Le gros problème avec le culturel, c’est qu’il est saturé de pigistes plus ou moins sérieux qui considèrent cette couverture comme un tremplin vers le vedettariat.

Quelques secteurs d’activité négligés par les médias… et par les pigistes

L’environnement, scandaleusement sous-estimé par la majorité des médias. Les pigistes peuvent faire mieux que les salariés!
Les sciences, qui intéressent peu les médias. Pourtant, les sciences jouent un rôle capital dans nos vies et un bon journaliste peut souvent les lier à l’actualité.
Les affaires autochtones: c’est l’incompréhension totale entre les Premières Nations et les médias, quel pigiste aura le courage de jeter des ponts entre les communautés?
L’agriculture, les pêches, les mines et autres activités économiques du secteur primaire, avec leurs impacts économique, social, environnemental, etc. Les pigistes pourraient mieux faire connaître ces réalités aux urbains.
Dans le même ordre d’idées, les médias et les pigistes négligent l’actualité des régions. Au Québec, l’information est “montréalocentriste”, malheureusement.
Les relations de travail. Quelque 40% des travailleurs québécois sont syndiqués, mais les médias reflètent mal cette réalité (quand ils ne sont pas carrément antisyndicaux).
La littérature, l’histoire des idées et, de manière générale, tout ce qui relève de l’univers des intellectuels. Les médias de masse étant particulièrement frileux à cet égard (quand ils ne font pas preuve d’un anti-intellectualisme crasse), les pigistes sont souvent confinés à de petites publications spécialisées. Celles-ci ont au moins le mérite de permettre aux journalistes indépendants de développer une expertise.
Le patrimoine et tout ce qui touche à l’Histoire sont les parents pauvres du “beat” culturel.
Les systèmes d’Éducation et de Santé mises à part, une foule d’institutions publiques sont souvent ignorées des médias. Vous rappelez-vous d’avoir vu un reportage fouillé sur le Centre québécois d’inspection des aliments? Sur le Secrétariat aux aînés du Québec? Sur les Anciens Combattants du Canada? Sur la Commission canadienne des grains?
Le Canada anglais: les “deux solitudes” sont encore bien réelles. Les médias du Québec connaissent mieux la France et les États-Unis que le Manitoba ou la Saskatchewan.
Le Tiers-Monde et, de manière générale, les pays boudés par les médias grand public. Des conflits armés, des élections, des réformes politiques et des transformations sociales d’envergure ne sont pas du tout couverts.

Trouver et proposer des sujets de pige

En premier lieu, il faut connaître le média que l’on veut cibler. Vous voulez écrire dans un magazine, par exemple? Consultez les numéros des deux dernières années, relevez les thématiques les plus souvent abordées par la publication et identifiez des sujets négligés par le magazine. Il ne faut jamais s’adresser à un rédac-chef sans avoir une certaine connaissance de son média.
Consulter des médias étrangers pour y découvrir des sujets et des angles de traitement inédits au Québec est aussi une bonne stratégie.
Ne jamais envoyer de C.V. à un rédacteur en chef, à moins qu’il l’exige. Le marché de la pige accorde peu de valeur aux diplômes. Les rédacteurs en chef recherchent la compétence et l’efficacité.
Pour proposer un sujet d’article à un rédacteur en chef, il faut lui présenter un synopsis (en quelques lignes) qui décrit le sujet et l’angle de traitement. Concluez le synopsis en indiquant quelques contacts et références – mentionner des personnes-ressources qui accepteraient d’être citées dans l’article et des sources bibliographiques, ça fait sérieux. Si le rédacteur en chef est de bonne humeur ce jour-là, il vous accordera quelques minutes de son précieux temps. S’il n’est pas disponible ou de mauvaise humeur, attendez quelques jours et revenez à la charge.
Lorsqu’un rédacteur en chef accepte un sujet d’article, il faut discuter avec lui de ses exigences, des détails de la commande, de l’angle de traitement, du style rédactionnel, etc., pour se mettre sur la même longueur d’ondes et ne pas le décevoir par la suite. Une première collaboration, ça passe ou ça casse! Au final, si le rédacteur en chef juge votre résultat catastrophique, il ne voudra plus jamais travailler avec vous et il racontera sa mésaventure à ses collègues rédacteurs en chef, ce qui vous fermera des portes. S’il aime votre article, il vous donnera une seconde chance, peut-être une troisième, et ainsi de suite, et il racontera à ses collègues des autres médias à quel point vous êtes un pigiste de confiance!
Ne misez pas sur un encadrement de la part des rédacteurs en chef. La plupart d’entre eux sont débordés, ils ont peu de temps pour “coacher” un pigiste. Le rêve mouillé de tout rédac-chef, c’est d’obtenir des articles clés en main, livrés avant la date de tombée, qui ne nécessitent aucune correction, ni réécriture. Un journaliste indépendant doit donc faire preuve d’une grande autonomie.
Fréquentez les événements où se rassemblent les éditeurs et les rédacteurs en chefs: colloques, congrès, 5 à 7, lancements, etc. Discuter de leurs besoins et de leurs exigences autour d’un verre, dans un contexte relax, est souvent plus efficace qu’une communication par téléphone ou par courriel.
Rappelez-vous qu’un pigiste doit faire mieux qu’un salarié, il doit apporter une valeur ajoutée. Autrement, à quoi bon être pigiste? Pour un reportage, effectuez une recherche consistante, documentez-vous ailleurs que dans les archives des médias et les communiqués de presse; dénichez des spécialistes et des intervenants ignorés des journalistes salariés; prenez le temps d’aller sur le terrain (bien des salariés, pressés comme des citrons, ne sortent plus de leur bureau); soignez votre style.
Tout ce processus est dominé par l’arbitraire et la subjectivité. Des rédacteurs en chef préfèrent les blondes. Certains ne font jamais confiance aux débutants, d’autres ne jurent que par les finissants des universités. Un reportage que vous estimez génial peut être rejeté sans appel par une rédaction. Ne vous entêtez pas à bosser pour un média avec qui vous n’avez pas d’atomes crochus. Le plaisir au travail est toujours un facteur de qualité!
Un dernier conseil: soyez à la fine pointe de l’évolution technologique. Les pigistes qui ont expérimenté en pionniers la caméra numérique, le cyberjournalisme, le blogue, etc., ont toujours eu une longueur d’avance sur les journalistes salariés, ils ont pu se démarquer en proposant de l’inédit. Aujourd’hui, les cybermédias des années 1990 appartiennent à l’Histoire et animer un blogue est banal; la mode est à la diffusion de reportages audio et vidéo sur Internet. Après le blogue, l’audio et la vidéo en ligne, quelle sera la prochaine révolution technologique? Aux pigistes de la découvrir… et de l’exploiter à leur profit.

Devenir membre de l’AJIQ

Pour se regrouper. L’union fait la force! Pour avoir plus de poids, il faut se regrouper. Que l’on soit pigiste à l’écrit, à la radio ou à la télévision.
Pour être solidaire. Si l’AJIQ n’est pas un syndicat reconnu par les lois du travail, elle en a la vocation. Même lorsqu’on est un pigiste qui réussit, la solidarité est importante.
Pour faire valoir ses droits. L’AJIQ est affiliée à la Fédération nationale des communications (FNC) de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) pour défendre les droits des journalistes indépendants. Chaque membre régulier de l’AJIQ bénéficie de cet appui.
Pour ne pas être seul. La pige n’est pas un emploi traditionnel. Être membre de l’AJIQ, c’est rejoindre un réseau de journalistes indépendants pour ne pas se sentir seul, isolé et sans appui!