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Nous publions ici les grandes lignes de la présentation du mémoire de l’AJIQ sur le renouvellement de la politique culturelle du Québec.

Fondée en 1988, l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) représente des journalistes indépendants à travers tout le Québec et elle s’intéresse au renouvellement des perspectives sur le journalisme indépendant et à l’évolution des pratiques journalistiques contemporaines.

Les technologies de l’information et de la communication sont au cœur des pratiques culturelles du XXIe siècle et nous sommes convaincus que le champ d’application de la politique culturelle devrait donc s’étendre au domaine de la production d’information et au journalisme.

C’est à ce titre que nous vous présentons aujourd’hui deux recommandations à intégrer à la nouvelle politique culturelle du Québec :

  • reconnaître les journalistes indépendants comme des travailleurs culturels ayant droit à la négociation collective au même titre que les artistes;
  • considérer les médias d’information comme des organisations culturelles qui peuvent et doivent être admissibles à un soutien public, similaire à celui offert aux industries culturelles et aux organismes artistiques.

L’information est un bien public culturel à protéger et à développer parce qu’elle répond à un besoin vital dans la société, soit celui de participer démocratiquement à la vie de la collectivité. Ceci fait de l’information un élément essentiel à l’avènement d’une démocratie culturelle qui doit être l’objectif de toute politique culturelle. C’est pourquoi il nous semble important d’enchâsser le droit du public à l’information dans la nouvelle politique culturelle du Québec.

Les médias d’information qu’il s’agisse de la radio, de la télévision, des magazines ou des journaux imprimés ou numériques sont à la fois des vecteurs de diffusion de la culture et des producteurs de culture au sens large. Il importe donc de concevoir les entreprises de presse comme faisant partie intégrante de l’écosystème culturel du Québec.

Le travail des journalistes se distingue de la création artistique par sa fonction plutôt que par sa nature. Si elles ont pour fonction première de renseigner, les œuvres journalistiques demeurent des créations littéraires ou audiovisuelles apparentées à celles que peuvent produire des artistes. C’est ce qui nous amène à avancer qu’il faut reconnaître les journalistes comme des travailleurs culturels à part entière.

Cette reconnaissance est particulièrement importante pour les journalistes indépendants qui sont les seuls producteurs d’œuvres protégées par le droit d’auteur à ne pas être reconnus comme des artistes. La plupart des éditeurs de périodiques au Québec exigent d’ailleurs de la part de leurs collaborateurs pigistes des cessions de droits voire la renonciation à leurs droits moraux. La reconnaissance des journalistes comme travailleurs culturels permettrait de protéger les journalistes pigistes contre les cessions abusives de droits. D’autant plus que ces cessions de droits privent les journalistes indépendants de revenus d’appoint importants ce qui contribue à la dégradation des conditions de travail.

Les conditions socioéconomiques des journalistes indépendants s’apparentent à celles de nombreux artistes et son caractérisées par la précarité d’emploi, le faible niveau de rémunération et l’absence de protection sociale. Une statistique résume assez bien la situation : dans les 30 dernières années, les revenus moyens des journalistes pigistes ont diminué d’un peu plus de 30 %. Cette stagnation des revenus s’explique essentiellement par l’absence d’indexation des tarifs payés aux journalistes indépendants.

Cette tendance à la précarisation des journalistes est très bien documentée et des études montrent que la dégradation des conditions de travail des journalistes va de pair avec la baisse de la qualité de l’information.

Dès 2003, le rapport Bernier sur Les besoins de protection sociale des personnes en situation de travail non traditionnelle recommandait de mettre en place un régime-cadre de représentation collective pour les travailleurs autonomes, et citait spécifiquement le cas des journalistes indépendants. En 2010, le rapport du Groupe de travail sur l’information au Québec proposait quant à lui de s’inspirer de la Loi sur le statut de l’artiste afin de mettre en place un régime de négociation collective pour les journalistes pigistes qui permettrait de fixer des conditions minimales de travail et d’établir les clauses d’un contrat type. Le renouvellement de la politique culturelle du Québec offre au législateur l’occasion parfaite pour enfin donner suite à ces recommandations et établir un régime particulier de négociation collective pour les journalistes pigistes.

Le niveau de concentration de la propriété dans le secteur des médias d’information au Canada est l’un des plus élevés au monde. Depuis l’adoption de la politique culturelle de 1992, on a assisté à un mouvement de concentration et de convergence sans précédent si bien que le marché québécois est aujourd’hui contrôlé par des oligopoles tant dans les secteurs de la presse écrite (quotidiens, hebdos, magazines) que des médias audiovisuels (radio, télé).

En 2013, une étude du Conseil de presse du Québec soulignait d’ailleurs que la convergence d’intérêts commerciaux, publicitaires et corporatifs au sein des grands groupes de presse menace l’indépendance journalistique.

En l’absence d’un cadre de négociation collective, cette situation désavantage nettement les journalistes indépendants qui n’ont pratiquement aucun pouvoir de négociation individuelle face aux grands groupes de presse qui en profitent pour maintenir leurs tarifs au minimum et pour imposer les contrats abusifs. Pour rééquilibrer la situation, une intervention publique concertée des différents paliers de gouvernement visant à assurer une régulation adéquate du secteur des médias et des télécommunications est urgente et nécessaire.

Depuis bientôt dix ans, le monde des médias d’information vit une crise financière sans précédent dont les effets se font sentir au Québec depuis quelques années. La baisse des revenus mène à des vagues de compressions consécutives et à la dégradation constante des conditions de travail des journalistes et, par conséquent, de la qualité de l’information. Avec l’effondrement de recettes publicitaires et l’accaparement d’une portion grandissante de l’assiette publicitaire par les géants du Web, l’influence des annonceurs sur les salles de rédaction s’accroit.

C’est dans ce contexte de crise qu’il faut envisager l’idée d’un soutien public à l’information. La crainte selon laquelle un financement public des médias serait assorti d’un pouvoir d’ingérence de l’État sur le journalisme ne doit pas faire oublier qu’à l’heure actuelle les intérêts privés des propriétaires de médias et des annonceurs pèsent sur l’indépendance des journalistes. Il faut rappeler que, en plus de financer des radio-télédiffuseurs publics, les différents paliers de gouvernement soutiennent déjà divers secteurs de l’industrie des médias et des communications, dont la production télévisuelle et cinématographique, les périodiques et les médias communautaires, sans ingérence politique notable. Pour pallier la chute des revenus, les gouvernements peuvent et doivent investir dans le soutien aux médias d’information.

Afin de s’assurer que la répartition d’éventuels fonds publics destinés au soutien à l’information échappe à toute ingérence, on pourrait s’inspirer des mécanismes en place dans le secteur culturel, où les enveloppes sont gérées par des instances indépendantes.

Nous proposons donc de mettre en place des programmes de financements calqués sur ceux destinés au secteur culturel :

  • un soutien au fonctionnement ou à projet pour les organismes à but non lucratif;
  • des crédits d’impôts, prêts et garanties pour les entreprises à but lucratif;
  • un soutien direct aux journalistes indépendants par le biais de bourses de recherche, de formation, de création ou de production.

En plus d’aider les médias traditionnels à traverser la crise actuelle, un tel financement permettrait également de favoriser l’émergence de nouveaux médias qui explorent des modèles économiques, techniques et éditoriaux offrant de nouvelles voies au journalisme indépendant de qualité. Il ne suffit pas de sauver les médias existants, il faut aussi soutenir l’innovation et la relève en journalisme.

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